Le Frac OM invite Gregory Forstner pour une exposition monographique, la seconde en Occitanie (après Cahors en 2020) depuis son retour des États-Unis en 2018. Après dix années passées à New York, l’artiste a fait le choix de s’installer à Montpellier, un « sud de la France » qui n’est pas celui dont il était parti puisqu’il vivait alors à Nice, où il a obtenu son diplôme (DNSEP) à la Villa Arson en 1999.
La peinture de Gregory Forstner est de celles qui ont la réputation d’être « dérangeante ». Même si plusieurs institutions française (le MAMAC de Nice en 2007, le musée de Grenoble en 2009, la Fondation Fernet-Branca à Saint-Louis en 2019) lui ont consacré des expositions personnelles, et si de nombreux collectionneurs publics ou privés le suivent avec fidélité, ses tableaux qui font souvent écho à l’histoire de l’art, classique ou moderne, paraissent assumer un décalage avec les pratiques formalistes de la scène française et européenne.
D’origine autrichienne, Forstner fait souvent référence aux pratiques picturales expressionnistes (Otto Dix, Richard Gerstl…) dont la place dans une histoire de l’art révolue est une évidence pour beaucoup. Mais ces pratiques, précisément, conservent ceci de dérangeant qu’elles étaient portées par une conception critique, non de l’art et de ses moyens propres, mais de la société dans laquelle elles s’exerçaient. Le véritable artiste expressionniste (si l’on considère que Forstner fait partie d’une telle « famille ») questionne par ses œuvres autant les autres que lui-même : son propre regard s’applique à décoder les travers d’une communauté, à rendre compte des mythes collectifs et leurs impacts sur tous, et non à explorer une intériorité nombriliste et à chercher à l’imposer avec plus ou moins de force.
Souvent de grand format et marqués par une énergie gestuelle parfois destructrice, les tableaux de Gregory Forstner dépeignent régulièrement des figures allégoriques, notamment des hommes à tête d’animaux (dans la tradition des fables pour enfants, à la manière de La Ferme des animaux de George Orwell). Ils vont à l’encontre de tout naturalisme ou réalisme et sont une manière de dénoncer une modernité aberrante. Héritier de la liberté totale du créateur illustrée au XXe siècle par Giorgio De Chirico, Forstner passe, avec autant de désinvolture que de sérieux, d’un sujet à l’autre, fait des contre-pieds déroutants, mais toujours avec l’exigence d’une cohérence assumée.
À New York, Gregory Forstner a vécu à Bed-Stuy et dans divers quartiers où s’est posée à lui la question des identités, des rapports de proximité ou de violence entre « blancs » et « noirs ».
À son retour de New York, une série de chiens habillés à la manière de Vélasquez et aux couleurs criardes est ainsi venue signifier une réinscription de l’artiste dans l’histoire de l’art européen, classique et débridé tout à la fois (Cahors, 2020).
Puis est survenue la crise sanitaire : dès le printemps dernier, le peintre perçoit ce changement qu’impose le confinement à chacun et d’abord à lui-même. La diversité du monde et la proximité de ses occupants, êtres ou choses, s’éloignent. Que peindre ? Comment accéder à ce qui, en temps normal, « fait monde » pour tous. Au grand amateur de nage en eau libre qu’il est, apparaît la nécessité de sauver la possibilité d’un « geste », comme un réflexe.
Empruntant des figures de fleurs à Internet, l’artiste trouve dans ces motifs artificiels autant de vanités possibles permettant des expérimentations radicales, baroques ou minimales, violentes ou légères, à chaque fois uniques. Inventant des instruments singuliers pour répandre les couleurs – balais, racloirs, brosses improbables – il les répand en vastes mouvements, taches brutales ou griffures contrôlées sur les toiles tantôt étendues au sol, tantôt posées verticalement, inventant des surfaces particulièrement profondes, des mouvements et des courants puissants engageant tant le regard du spectateur, que son corps.
« Flowers for the Bold » dit Forstner en anglais : Aux audacieux de plonger dans ces Fleurs qui ne sont ni des bouquets impressionnistes, ni des figures de rhétorique postmodernes (les variations ironiques de Gasiorowski), ni des concepts déguisés en Cheval de Troie de la séduction marchande : simplement des « vagues » où chacun, tombant le masque, retrouvera comme une sensation de sel à même la peau.
Emmanuel Latreille
Commissaire de l’exposition, directeur du Frac OM
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